Communiqué des travailleur.euse.s D1CG n°2
Il y a quelques jours, nous avons rendu publique notre décision d’entamer une grève du CST. Au finish. En utilisant la terminologie médiatique en vigueur, on pourrait dire que ce mouvement a « un caractère épidermique ». Nous n’avons jamais cru que ce genre d’explication permette de comprendre une quelconque situation de conflit social ou politique : si l’on y regarde mieux, on voit qu’il n’y a jamais d’explosion sans qu’aient été préalablement réfléchis et discutés les motifs de la colère qui l’a produite. Nous avons donc pensé qu’il pourrait être pertinent d’expliquer deux ou trois choses concernant notre prise de position.
Tout d’abord, nous tenons à préciser que nous ne nous sommes nullement arrêté·es de travailler. Nous avons simplement entamé un mouvement qui consiste à refuser toute application du dispositif de Covid Safe Ticket dans l’exercice de nos fonctions professionnelles.
Et nous estimons qu’il s’agit là d’une manière totalement adéquate de rencontrer les missions d’Éducation Permanente pour lesquelles l’association qui nous emploie est subventionnée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Selon la convention qui nous lie à cette institution, nous sommes tenus de produire de la pensée et des savoirs critiques et plus précisément de « faire réfléchir par le paradoxe et la dérision ». Or nous demeurons convaincu·es que si la pensée critique ne veut pas finir en contenu pour talk shows animé par Sacha Daout, elle doit impérativement chercher à produire des effets pratiques – c’est cela qui fait sa valeur.
Notre refus d’appliquer le CST est une manière de réinventer la grève du zèle en l’appliquant dans le champ de l’Éducation Permanente. Et, surtout, une possibilité pour nous de redonner de la cohérence et du sens à notre action.
Nous travaillons dans un des ces secteurs qui ont été, de façon systématique voire obsessionnelle, catalogués comme « non-essentiels ». Et il nous semble évident que cela a laissé des traces très profondes dans les rapports que nous entretenons avec des autorités qui n’ont pas hésité à témoigner publiquement de tout le mépris avec lequel elles considèrent notre travail. Il faut s’en souvenir pour comprendre que ce n’est qu’après avoir été humilié·es de la sorte que le chantage qui permet l’application du « Covid Safe Ticket » peut fonctionner : d’abord on dit devant le pays tout entier, réuni sous la forme d’une « équipe de 11 millions », que notre travail n’est pas très important et ensuite on nous explique que, pour continuer à exercer notre métier, il faudrait que nous consentions à aider le gouvernement à réaliser son fantasme – instaurer le contrôle de tout le monde avec l’aide de tout le monde.
Nous nous sommes évidemment senti·es piégé·es après avoir été rabaissé·es. Tout cela, nous l’avons dénoncé, à plusieurs reprises, en compagnie de consœurs et frères via plusieurs communiqués ou cartes blanches. Cela n’a abouti à aucun débat, aucune prise en considération par les autorités des réalités du terrain et des expériences qui s’y mènent. Cette pandémie aura été marquée par la répétition, au nom d’une urgence permanente, d’un mécanisme décisionnel qui n’est pas neuf mais dont le règne est désormais total : on n’a jamais le temps de discuter du bien-fondé politique ou éthique de quoi que ce soit, les gens sont des spectateur·ices, les mesures leur tombent dessus comme une sorte de calamité naturelle et, de semaine en semaine, iels apprennent quelles seront leurs conditions d’existence en lisant les slides des points-presse post-CODECO. Il n’y a plus de questions politiques, il n’y a plus que des problèmes de communication : c’est la démocratie du powerpoint.
À ce stade, en prenant en considération l’historique de la situation et l’ensemble des paramètres qui la composent, nous ne voyons plus très bien comment nous pourrions faire le métier que nous voulons continuer à faire et, en même temps, estimer que des mesures telles que le CST ont la légitimité qui nous imposerait de devoir les appliquer. Bien au contraire. D’autres – beaucoup d’autres – que nous, sont confronté·es à ce dilemme : devoir participer activement à faire appliquer des règles qu’iels jugent profondément injustes pour pouvoir continuer à travailler ou à exercer une activité associative. Nous nous sommes rendu compte que nous ne parvenons plus à poursuivre notre travail en acceptant cette tension-là. Nous ressentons la nécessité de nous en libérer immédiatement ; il s’agit pour nous d’une mesure prophylactique qu’on pourrait replacer dans la perspective de la prévention du burn out.
Nous ne sommes que sept mais nous éprouvons ce besoin impératif de contribuer à briser l’illusion du consensus de façade, celui qui est mis en scène dans les séquences des JT lorsqu’il faut rendre compte de la manière dont « la population » s’adapte aux mesures qui viennent d’être décidées – où, de toute manière, tous les protagonistes seront finalement bien obligé·es de reconnaître en prime time que, quoi qu’iels puissent penser, « on n’a pas le choix ». Notre démarche ne vise aucune exemplarité : nous n’avons de leçons à donner à personne et certainement pas à toutes celles et ceux qui, dans l’horeca, dans la culture ou dans le sport, sentent qu’on leur arrache leur consentement à chaque fois qu’iels scannent un QR code. Nous savons l’importance et la violence des pressions de toutes sortes (morales, économiques, psychologiques) qui pèsent sur elleux.
Si nous nous opposons radicalement à quelqu’un, c’est à ceux qui exercent ces pressions, absolument pas à celles et ceux qui en sont les victimes. Au contraire, nous tenons à leur témoigner ici toute notre solidarité.